Le « kalos kagathos » : un idéal cultivé au gymnase
Par Valérie Kerangall
15/04/20
d
Corps | Esprit
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10 minutes

L’effort personnel, la conscience d’appartenir à un groupe et la volonté de contribuer à son bon fonctionnement permettaient à l’homme grec d’atteindre son idéal du « beau et bon », c’est-à-dire d’être à la hauteur de sa dignité d’homme. Cet objectif se poursuivait dans un lieu particulier : le gymnase. À l’heure où les publicités vantent le corps parfait et où les salles de sports fleurissent, comment nous inspirer de ce modèle pour développer notre équilibre personnel au XXIe siècle ?

Aux origines du gymnase, les Concours panhelléniques

L’activité des Grecs de l’antiquité était soumise au bon vouloir des dieux c’est pourquoi toutes les cités organisaient des concours en leur honneur. Quatre d’entre eux étaient plus réputés que les autres et constituaient un « Circuit » auquel les athlètes avaient à cœur de se rendre tous les deux ou quatre ans.
À ces occasions, pour permettre la participation de tous les Grecs en l’honneur de leurs dieux, une trêve sacrée était instaurée, les conflits cessaient et les chemins devenaient sûrs.

Pour les cités grecques, c’était l’occasion idéale de montrer et partager leur culture et leur communauté.

Loin de notre conception contemporaine des compétitions sportives, ces rencontres n’avaient pas pour but la recherche de la performance physique et du record, elles étaient avant tout l’occasion de mettre en avant l’unité du « monde grec » et les récompenses symboliques et honorifiques procuraient aux vainqueurs une gloire qui jaillissait sur l’ensemble de leurs cités.  

Ainsi les couronnes de laurier à Delphes, d’olivier à Olympie, de pin dans l’Isthme et de céleri sauvage à Némée sont, avouons-le, de bien piètres récompenses, mais leur apparente insignifiance souligne combien l’essentiel n’est pas, pour l’athlète, la valeur du prix, mais bien la reconnaissance de ses concitoyens.

Concourir aux Jeux panhelléniques c’est avant tout faire partie d’un groupe.

Aux Concours panhelléniques il n’y a pas de notion de record, le vainqueur a droit aux honneurs certes, mais il est avant tout le meilleur comparé à l’ensemble des participants. Là encore, on peut savourer l’importance du groupe derrière lequel l’individu semble s’éclipser pour mieux se fondre. 

L’organisation régulière de Concours dans les sanctuaires de Zeus à Olympie et à Némée, d’Apollon à Delphes ou encore de Poséidon dans l’Isthme de Corinthe est sans doute à l’origine du gymnase comme institution.
Ces concours étaient d’abord réservés à l’aristocratie (les « meilleurs ») et rassemblaient toutes les régions de Grèce dans des épreuves qui mêlaient sport et arts. Les athlètes se mesuraient entre eux à l’occasion de diverses épreuves : courses à pied, courses hippiques, lancers, luttes, combinés et aussi concours musicaux (sauf à Olympie).

Les cités-États devaient disposer de forces militaires composées de citoyens bien entraînés aux exercices physiques et conscients de former un corps social soudé. Ce besoin favorisa sans doute la fondation des gymnases où les hommes pouvaient s’exercer.

Le lien avec le bien-être

Bien-être intellectuel, mais avant tout physique, car le gymnase permet d’abord l’entraînement aux épreuves athlétiques des Concours panhelléniques. 

Le gymnase comportait des installations nécessaires au développement du corps et de l’esprit, le tout étant entretenu par des fonds publics, mais également grâce à de généreux donateurs privés.
La palestre, vaste cour rectangulaire ou carrée entourée de portiques, était l’élément principal qui permettait l’accès à différentes salles dédiées à des fonctions spécifiques : le vestiaire, des salles de stockage pour les disques, les javelots, les poids et les haltères, mais aussi pour les réserves d’huile et de sable fin dont on les athlètes s’enduisaient le corps.

Les fouilles archéologiques et les textes révèlent des complexes élaborés avec des baignoires, des piscines, mais aussi des bains de vapeur.

Si l’athlétisme est bien la fonction première des gymnases, il est évident qu’ils étaient aussi des lieux de réunions et de détente comme l’attestent la présence de nombreuses salles garnies de bancs et leurs lieux d’implantation. Les gymnases étaient toujours situés à l’écart des centres urbains, dans des lieux ombragés, près d’une source d’eau, espaces favorables à la construction de pistes d’entraînement pour la course, mais aussi à de longues promenades propices au repos, à la discussion et à la formation intellectuelle.
L’Académie de Platon et le Lycée d’Aristote à Athènes, pour ne citer que les plus célèbres lieux d’enseignement, étaient à l’origine des gymnases situés dans de vastes jardins où sous la frondaison rafraîchissante des platanes et d’autres arbres, les jeunes gens et leurs maîtres, se promenaient le long des sentiers et pouvaient s’asseoir près des sources et des fontaines pour échanger et discuter de multiples sujets, et entre autres de philosophie autrement dit littéralement d’« amour de la sagesse ».

Le gymnase montre combien l’antiquité grecque mêlait étroitement le développement du corps et de l’esprit pour former les « meilleurs » des citoyens auxquels pouvaient être confiées la direction et la défense des cités. Les soins du corps sont si importants que le strigile, sorte de racloir utilisé pour ôter la couche de sable fin et d’huile dont les athlètes s’enduisaient pour pratiquer en particulier les épreuves de lutte, est un symbole reconnaissable sur de nombreuses représentations de jeunes garçons au gymnase. 

Les Romains vont par la suite largement développer les salles dédiées aux soins des corps en construisant des installations thermales offrant bains de vapeur, piscines froide et chaude, ainsi que des salles de massage. Cette attention particulière pour l’hygiène, la détente des corps après l’effort et les soins corporels est une donnée importante de la conception du bien-être tel que nous le concevons aujourd’hui. 

Les activités culturelles et intellectuelles vont se développer dans le cadre des gymnases dont le rôle était d’améliorer le niveau d’éducation des citoyens. Les inscriptions distinguent des « professeurs » et des « conférenciers » qui étaient honorés aux côtés de leurs élèves et sur certains sites ont été identifiées des salles spécifiques garnies de bancs, les exèdres. S’y tenaient des enseignements comme la philosophie, la littérature, la rhétorique, la lecture et la récitation, sans oublier la tragédie, la comédie, la poésie ou encore le chant et la musique (cithare, lyre). 

L’association étroite de l’athlétisme et de la philosophie s’est développée dans le monde oriental durant l’époque hellénistique, la bibliothèque devient même un élément à part entière du gymnase comme en témoigne la plus ancienne mentionnée à Rhodes.

Selon la conception du « kalos kagathos », ces nombreux enseignements avaient pour objectif de former un homme « beau et bon », capable de comprendre le monde qui l’entoure et d’y prendre part.
Cet idéal peut être résumé dans le « logos », terme qui donne lieu à diverses interprétations, depuis la « logique » au sens de « méthode visant à s’assurer d’une pensée juste », ou bien encore dans ses transpositions en latin « ratio » et « verbum » pouvant désigner la loi du monde ou le « Verbe de Dieu ». Philosophiquement, on peut s’accorder sur le sens de « logos » comme ce qui lie les phénomènes entre eux, c’est le discours qui, chez Héraclite, « constitue, éclaire et exprime l’ordre et le cours du monde ».

Au gymnase, le citoyen de la Grèce ancienne recevait donc une formation physique et intellectuelle qui lui permettait de saisir l’importance des liens entre tous les éléments : le corps et l’esprit, la nature et la culture, l’individu et le groupe… cette compréhension, sans aucun doute essentielle à toute forme de sagesse et d’harmonie, lui permettait de jouer pleinement son rôle d’acteur de la cité et du monde dans lequel il vivait.

Que puis- je faire de ce que je viens de lire au XXIè siècle ?

Comprendre ce qui nous entoure, trouver la sagesse et l’harmonie, être acteur de sa vie. Les besoins d’épanouissement personnel n’ont, semble-t-il, pas ou peu évolué.
Qu’en est-il des méthodes ? Quels pourraient-être nos gymnases modernes, lieux dédiés à la recherche du bien-être et au dépassement de soi ? 

Si un lieu unique de ce type ne rassemble plus les différents domaines nécessaires au développement personnel, à nous d’aller puiser çà et là et de composer des apports sur mesure. 

Salle de sport, yoga, pilates, taï chi, sophrologie, méditation, massage, thalasso, cures… de nombreux secteurs contribuent à notre bien-être physique. Pour le versant intellectuel, voici quelques pistes à consommer sans modération :

+ Philosopher
Relire les textes des penseurs grecs, avant et après Socrate ; s’émerveiller de la façon dont les présocratiques ont donné aux hommes les moyens de s’affranchir des mythes fondateurs pour appréhender la création du monde et les phénomènes naturels. Redécouvrir comment Socrate met l’homme au cœur des préoccupations, pas en tant qu’être tout puissant, mais en tant qu’être faisant partie d’un tout dont le devoir ultime est de participer au bon fonctionnement d’un ordre favorable à tous. C’est ce respect de l’ordre établi par les hommes qui lui fait accepter la condamnation à mort dont il fait l’objet avec résignation et sagesse.

+ Voir le beau
Prendre conscience que l’Antiquité grecque avait développé, au bénéfice il est vrai des seuls citoyens, acteurs privilégiés de la cité, un idéal d’équilibre personnel et de solidarité que la beauté de l’art grec permet d’admirer.

Flâner dans les musées, prendre le temps de se laisser séduire par les statues qui subliment les formes humaines dignes des dieux, car, dans la Grèce ancienne, l’homme est à l’image des dieux, avec ses qualités et ses travers. Rester songeur devant le talent qui a permis à des artistes de révéler ces merveilles d’équilibre de force et de douceur à partir d’un bloc de marbre ou d’un alliage de bronze savamment maîtrisé. 

+ Partir à la découverte
Prévoir un voyage sur les sites célèbres, ou plus à l’écart des circuits traditionnels, pour marcher dans les pas des hommes « beaux et bons » et prendre ainsi le temps d’apprécier la permanence de la beauté de la nature et de la culture de la civilisation grecque.

Quelles actions mettre en place ?

Pensez à 5 actions que vous aimeriez réaliser.

À retenir

• Les aspects physique et intellectuel sont importants pour le bien-être.

• Les aspects physiques regroupent sport et soins du corps.

• Les aspects intellectuels nous permettent de comprendre le monde et d’y prendre part.

Enseignante passionnée d’histoire et d’archéologie, je veille à développer la curiosité et l’esprit critique de mes élèves. J'aime transmettre ce qui me semble être les clefs essentielles à l’épanouissement de chacun car contrairement aux idées reçues, l’histoire est une discipline d’avenir …

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méristHemE a pour vocation de vous accompagner vers un bien-être maitrisé en s'appuyant sur des méthodes claires et des sources transparentes.

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